dimanche 26 février 2012

BROUILLARD

Mon esprit cherche enfin à pourfendre la mort
Qui envahit sans bruit l’univers décadent ;
Mais lorsqu’un voile obscur dérive vers le port
Je me sens tiraillée par un rêve obsédant.

Un tumulte incessant tambourine mon cœur
Qui ne peut résister à l’assaut démentiel,
Mais j’espère qu’un jour un rayon de bonheur
M’offrira un destin aussi doux que du miel.

Cette exquise pensée cependant doit périr
Car nul ne parviendra à apaiser mon âme
Ni à me redonner la force de guérir
Face à un magicien destructeur et infâme.

Je ne désire point me jeter dans les flots
Mais si l’espoir se meurt et si l’amour me fuit
Dans un gouffre béant aux terribles sanglots
J’irai me fracasser quand renaîtra la nuit.

Aussitôt mon trépas je rejoindrai gaiement
Le temple mystérieux ruisselant d’allégresse,
Puis je m’exilerai dans ce havre clément
Où j’irai oublier l’objet de ma détresse.

Adieu vie sans saveur, adieu monde ambitieux,
Adieu vieux ennemis qui saccagez mon cœur,
Je pars emplie d’espoir vers de limpides cieux
Où sans aucun regret j’irai sécher mes pleurs.

                         17 Novembre 1969

L’AMOUR VAGABOND

Tombe l’obscurité sur mon corps assoupi,
Tombe l’épais brouillard sur le monde blafard,
Tombent les ténèbres sur le visage hagard
De l’être miséreux dont le cœur est transi.

Il s’enfuit sans espoir, seul, foulant des chemins
Qui l’attirent sans fin dans un grand tourbillon
Et son âme aveuglée, lynchée par Aquilon,
Vacille sous le poids de multiples chagrins.

Levant les yeux au ciel il scrute l’horizon
Et s’apprête à changer le cours de son destin
Car il veut s’abriter dans un havre lointain
Afin d’y enterrer sa vie de vagabond.

Aujourd’hui je perçois un appel qui m’entraîne
Sur la piste sacrée d’une amitié bien rare
Et je cherche la clef pour m’enfuir du Tartare
Où je me suis blottie pour étouffer ma peine.

Cette nuit j’ai humé un parfum de bonheur
Mais je n’ai pas compris qu’il pouvait se sauver :
Son calice divin ne viendra m’abreuver
Que si je remédie bien vite à cette erreur.

Attends-moi patiemment à l’ombre d’un buisson
Toi mon prince inconnu, mon mystérieux émir ;
Sans perdre un seul instant je cours vers l’avenir
Car l’amour est changeant, sauvage et vagabond.

                10 Octobre 1969

DES VŒUX ENSOLEILLES

Quand paraît le soleil dans le clair horizon
Il caresse gaiement de ses tendres rayons
Nos visages sereins imprégnés de lumière
Et il fait scintiller les larmes des rivières.

Cet astre somptueux qui perce les nuages
Parvient à réchauffer le sable de nos plages
Où les trésors enfouis parmi les coquillages
Contiennent des secrets fascinants et sauvages.

Les enfants chaleureux de notre colonie
Sont autant de soleils qui réchauffent la vie
Et lorsque l’amitié hier nous a conquis
Elle dépose en nous des souvenirs exquis.

Mais alors que l’été sans bruit nous a quittés,
Que le temps envolé nous a tous séparés
Et que ce jour d’automne a des embruns amers,
Je te dédie ces vœux de délices sincères.

                           29 Septembre 1969

VOYAGES CELESTES

Je survole les nuits de ma ville endormie
Et nourrissant mon cœur de rêves fantastiques
Je me laisse griser par la paix infinie
Qu’offre le crépuscule aux esprits romantiques.
O délices exquis, vous venez m’enlever
A la mélancolie d’un été sans saveur
Afin que mon cœur las se consume à rêver
Au sein d’un univers débordant de douleur.
Quand vient l’ombre du soir des nuées d’anges blonds
Venus je ne sais d’où voltigent sous mes yeux ;
S’envolant aussitôt dans le vaste horizon,
Ils m’emportent au loin vers de limpides cieux
Et me donnent la clef qui mène au paradis.
Sitôt franchi le seuil j’entrevois des jardins
Où fleurissent en paix de merveilleux amis,
Des parterres de fleurs peuplés d’oiseaux divins
Qui sèment sur nos nuits des éclairs de magie.
Parsemé d’un tapis aux multiples éclats
Cette oasis d’espoir m’attire sur son lit
Moelleux et parfumé qui frémit sous mes pas.
Mais au petit matin, sitôt les yeux ouverts,
Je retrouve sans joie les parfums indigestes
Qui transforment mes jours en de sombres déserts
Et dirigent ma vie vers des festins funestes.

                29 Juillet 1969

TRISTE ERRANCE

La tempête a gommé de mon esprit,
En un souffle vigoureux et mortel,
L’ultime trace d’un désir interdit
Qui m’imprégnait d’un bonheur irréel.

Je fuis l’enfer, ce violent adversaire :
Sur des chemins inondés de poussière
Je marcherai  craintive et solitaire
Vers un jardin aux parfums de bruyère.

Quand pourrai-je revoir cette lueur
Scintillante dans un soleil joyeux
Qui, jadis, faisait chavirer mon cœur
Et l’embrasait sous son ciel lumineux ?

Hier ma volonté m’a emportée
Vers des paradis féconds et angevins ;
Aujourd’hui ma douleur m’a déportée
Vers des récifs, séducteurs assassins.

Et si mon cœur égaré sans défense
N’a plus les embruns d’un doux élixir
Rien  ne pourra annuler la sentence
Qui l’entraîne vers un sombre avenir

Ce sinistre sort me happe et m’enchaîne
Sous un immense rempart de silence,
Mais mon esprit combatif se déchaîne
Contre les méfaits d’une triste errance.

                         15 Juillet 1969

LE TEMPLE DES DELICES

Le soir a déposé son grand voile nocturne
Et le jour a fait place aux multiples mystères
Des objets endormis sur les sols fructifères
Que nos aïeux ont inondé de leur fortune.

La vision des grands bois impressionne et anime
Mon esprit amoureux des grandes solitudes :
Parfois je me complais à fuir les platitudes
D’une vie sans relief qui souvent me déprime.

O rêves parfumés qui régnez en mon cœur,
Naissez, croissez, vivez et nourrissez mes nuits,
Ne m’abandonnez point dans un sombre puits,
Parsemez mes journées de désirs en couleur.

Mon âme purifiée par ces instants propices
S’élève allègrement dessus les verts feuillages
Afin de s’enivrer des émouvants ramages
Des oiseaux enchanteurs du temple des délices.

Et mon corps engourdi par un tendre sommeil
Choiera sur un tapis insensible aux hivers
Tandis que mon esprit survolant l’univers
S’en ira chevaucher un rayon de soleil.

Adieu vie condamnée à un destin funeste
Je te quitte à jamais pour un lieu romantique
Où je m’imprègnerai d’images fantastiques
Qui nourrissent les cœurs de leur manne céleste.

                         13 Juin 1969

UN NAUFRAGE ANNONCE

Dans son ardente parure de sang,
Berceau secret des rayons étoilés,
Le soleil donne à mon cœur esseulé
Un tendre élixir sauvage et puissant .

Il m’abreuvera dans le grand voyage
Où j’emporterai mon corps douloureux ;
Messager d’espoir, prince chaleureux,
Nul n’affaiblira son précieux hommage.

Mais si mon exil s’achève en défaite
J’espère échapper aux feux de l’enfer,
Entendre vibrer les voix du désert
Qui m’inspireront malgré la tempête.

Je découvrirai un sombre rivage :
Pluie, grêle et autan me réveilleront,
Mon cœur faiblira, mes peurs renaîtront,
Les cieux courroucés frémiront de rage.

Mon corps lacéré par cet ouragan
Bientôt cèdera sous les nombreux coups
D’un vent déchaînant sa horde de loups
Qui m’ouvrent l’accès au grand châtiment.

Et lorsque naîtra le dernier orage,
Lassée d’une vie sans joies et sans fleurs,
Je libèrerai toutes mes rancoeurs
Avant d’embarquer pour mon grand naufrage.

                                9 Juin 1969

DANS L’ONDE DES BONHEURS

Elle me reviendra ma timide gazelle
Après un long voyage empreint de majesté ;
Elle viendra m’aider de sa force nouvelle
En brisant les glaçons dont mon cœur est lesté.

La couche verglacée dont les bruits me désolent
Hier s’est effacée sur les vastes prairies
Aussitôt submergées de fleurs qui caracolent
Et me font espérer de proches embellies.

Tous ces instants féconds en songes fantastiques
Resteront à jamais incrustés dans mon âme
Et ils m’inspireront des charges héroïques
Destinées à chasser tout imposteur infâme.

Demain je dormirai sur un lit verdoyant
Recouvert d’un linceul aux multiples senteurs
Et mon âme traquée fuira vers l’océan
Afin de se noyer dans l’onde des bonheurs.

                                  23 Mai 1969

NUITS SANS ETOILES

Un étrange frisson a parcouru mon corps
Affligé par les coups qui affectent ma vie
Et je dois supporter le feu qui me dévore
Et m’inflige l’assaut d’une lente agonie.

En un infime instant mon regard s’est perdu
Dans une immensité constellée de violettes
Et le temps d’un soupir un désir inconnu
A investi mon cœur comme une armée secrète.

Mais l’espérance a fui dans l’enfer de la nuit :
Mon âme s’est vidée, mon cœur est un désert,
Un vague désespoir succède à mon ennui,
La vieillesse qui vient semble un fruit bien amer.

Puis mon cœur s’engourdit plongeant dans le sommeil,
Habile protecteur des chagrins et des peines,
Mais il n’oubliera point à l’heure du réveil
Quels êtres sans honneur ont fait naître ma haine.

Nuits aux rêves obscurs vous régnez sur mes jours :
Je viens vous supplier du quai de mon malheur
D’insuffler à mon cœur l’intuition de l’amour
Et de me susurrer des leçons de bonheur.

Mais quand jaillit le jour, lorsque les ombres fuient,
Je retrouve les peurs qui ne me lâchent plus
Et me tiennent rivée aux terreurs de la nuit,
A ces masques conçus par des anges déchus.

                           23 Avril 1969

JE VOUDRAIS

Je voudrais que la mort
M’inonde et me dévore
En libérant mon corps
D’un destin que j’abhorre.

Je redoute la vie
Qui installe mes jours
Dans un vide d’amour
Rempli d’intempéries.

Je souhaite embraser
Mon esprit indécis,
Chanter la mélodie
De mes rêves brisés.

Je voudrais exprimer
Ma terrible rancœur
A ces êtres sans cœur
Qui m’ont tant opprimée.

Mais ce grand désespoir,
S’il traverse le temps,
Atteindra seulement
Les ailes d’une histoire.

Si un dieu s’aventure
Aux confins de mon âme
Il éteindra la flamme
Eclairant mes blessures.

Alors j’irai sceller
Sans haine ni regrets
La fleur de mes secrets
Trop prompte à s’exhaler.

Puis j’irai m’étioler
Au jardin des soupirs
Et seuls mes souvenirs
Pourront m’y consoler.

        9 Avril 1969

MON ÂME EST DANS LA NUIT

Mon âme est lacérée par les nombreux sévices
Qui en exacerbant la douleur qui m’égare
Me jettent violemment au cœur d’un sacrifice
Où mon corps innocent a rompu ses amarres.

Mon cœur est submergé par d’ignobles souffrances
Et suffoque au contact d’une sombre prison ;
Baigné par un torrent chargé d’intolérance
Il aspire à venger l’impitoyable affront.

Mais avant que la mort puisse me libérer
Je voudrais proclamer mon entière innocence
A ces êtres malsains qui ont su attirer
Tant de maux pernicieux sur mon corps sans défense.

Dans un souffle plaintif mon esprit las tressaille :
Sous les crocs acérés lâchement enfoncés
Dans les anciennes plaies qui brûlent mes entrailles
Je plonge vers la nuit qui vient de s’annoncer.

                                  19 Mars 1969

LE ROYAUME INTERDIT

Mon esprit abreuvé de grande lassitude
Recherche en dérivant sous de furieux orages
Le royaume égaré dans un champ de nuages
Venus anéantir mes quelques certitudes.

Je pars en ignorant où mes pas incertains
Pourraient me libérer des fers de mon chagrin ;
J’aspire à m’engager sur un plus doux chemin
En fouillant l’horizon de mes yeux presque éteints.

Le soleil, tout au loin, inonde le jardin
Qui va se déployer sous mes pieds douloureux ;
Je crois apercevoir les reflets lumineux
Du temple généreux où l’espoir vit sans fin.

Je m’empresse aussitôt vers ce site apaisant
Où j’espère trouver un accueil chaleureux ;
Je voudrais m’exiler à la source du feu
Qui me délivrera d’un destin inquiétant.

Je voudrais pénétrer en ce lieu protecteur
Et pouvoir m’y nourrir des douceurs de son sol,
Je voudrais que ma vie prenne un nouvel envol
Afin qu’un arc-en-ciel vienne inonder mon cœur.

Je guetterai alors le prince de ma mort,
Le dieu qui m’étreindra de ses froides passions ;
Je fuirai Lucifer et ses machinations
Pour aller m’enchaîner au port où l’on s’endort.

                              12 Mars 1969  

AME DAMNEE

Des grêlons ont cinglé sur mon âme transie
Et ce puissant fracas fait de perles guerrières
A criblé mon esprit humilié par la vie
De cristaux transformés en larmes meurtrières.

Terrassée sous les crocs d’un sombre précipice,
Dominée par des coups qui brisent toute joie,
Elle va subissant les nombreux maléfices
Des apprentis sorciers dont elle est une proie.

Ce grand égarement est un cruel présage :
C’est un nouvel envol vers l’antre de la mort
Qui me fera sombrer dans l’inique naufrage,
Dans  le dernier sursaut de mon corps qui s’endort.

Bientôt tu parviendras sans doute à me pousser
Dans l’ignoble prison de ta propre démence,
Mais il ne sert à rien de vouloir t’empresser
A me faire céder sans nulle résistance.

Demain je lutterai jusqu’au seuil du trépas,
Mon esprit survivra à l’éprouvant supplice
Qui le façonnera pour lui servir d’appas
Et le fera errer au champ du sacrifice.

Hanté par les éclats d’un injuste courroux
Qui presque à chaque instant ont pu m’empoisonner
Tu viendras supplier en faisant les yeux doux
Espérant que le temps saura te pardonner.

Nourrie d’un doux espoir j’aimerais parcourir
La voie des émotions si longtemps espérées ;
L’espace d’un instant je voudrais éprouver
D’intenses sensations jusqu’alors ignorées.

                       19 Février 1969

LIBERTE EN PERIL

Ma pensée dépérit dans l’énorme prison                                                                                                  Qui retient enchaînée ma fragile existence ;
Elle tâche à trouver un projet d’évasion
Afin de chevaucher une onde d’espérance.

Il lui faut se jeter sur les barreaux de fer,
Insensibles auteurs d’une grande détresse,
Et détruire à jamais les présages pervers
Qui vont l’emprisonner dans une forteresse.

Elle tombe meurtrie sous les assauts immondes
Qui lui donnent sans fin des hordes de sauvages ;
Perdue dans cet enfer, amère et vagabonde
Elle voudrait voler vers de nouveaux rivages.

Un éclair aveuglant a percé les ténèbres
Où se sont envolées mes funestes pensées ;
Mais voici que j’entends une marche funèbre
Qui me glace le sang sur un rythme insensé.

Ma pensée est vaincue par un monde malsain
Et mon cœur lacéré s’enfonce dans la nuit
Submergé par mes pleurs qui s’épanchent sans fin
Sur le spectre damné d’un bonheur qui s’enfuit.

Adieu monde cruel, adieu démons infâmes,
Mon destin est brisé, mon cœur est en péril,
Vous avez mutilé et humilié mon âme
Tout en me contraignant à survivre en exil.

                        20 Janvier 1969   

DES LARMES DANS LA NUIT

L’année s’est achevée sur des rêves brisés
Et comme un mort-vivant sur le fond d’un  miroir
Une autre a commencé, sans l’ombre d’un espoir,
Imprimant dans mon cœur de terribles nausées.

Pourquoi me redonner de vaines espérances
Si personne ne vient m’apporter son secours ?
Pourquoi devrais-je croire aux paroles d’amour
Quand tous ont refusé d’entendre ma souffrance ?

Perdue dans mes pensées, me forçant à sourire,
J’ai reçu sans broncher des paroles d’espoir
Aussitôt transformées en un grand désespoir
Que l’espace et le temps ne peuvent point occire.

J’ai récité à mon tour ces mots sans saveur
Refoulant dans mon cœur un éternel dégoût
Et, voulant éviter l’immanquable courroux,
J’ai préféré donner l’illusion du bonheur.

Mais la nuit est tombée dans la mélancolie,
Je me suis effondrée près du lit, à genoux ;
Et dans l’obscurité j’ai senti sur mes joues
Couler abondamment des larmes de dépit.

Puis je me suis couchée car mes yeux douloureux
A force de pleurer s’éteignaient peu à peu ;
En sentant la colère en mon cœur prendre feu
J’ai cherché à gommer ces moments désastreux.

                   3 Janvier 1969

STERILES PENSEES

Les ténèbres transpercent l’horizon,
Mon âme ténébreuse et incertaine
Submergée par un océan de peine
Se brise sur les murs de sa prison.

J’envie parfois ceux qui, dès le matin,
Foulent à deux la voie de la tendresse
Et je me sens imprégnée de tristesse
Car chaque jour m’instille son venin.

Où sont passés les embruns de la joie ?
Je m’étourdis aux senteurs de l’ennui
Et je pars, seule, en cherchant dans la nuit
L’enthousiasme qui s’est éteint en moi     

Pourquoi vouloir à tout prix résister
A la sordide emprise du malin ?
J’ai pénétré dans un monde incertain
Où nul amour ne pourrait subsister.

Je voudrais croire en ces instants radieux
Qui posent sur nos innombrables peurs
Des tourbillons de rêves en couleurs
Ces arcs-en-ciel qui vénèrent les cieux.

Mais ces pensées ont un goût d’inutile :
Cette vision ne pourra s’accomplir
Car mon esprit condamné à souffrir
A renoncé à tout rêve stérile.

          19 Décembre 1968     

DEROUTE DE L’ESPOIR

A travers la froideur d’un fin rideau de brume
J’ai perçu la douceur des rayons du soleil
Qui réchauffent les corps engourdis de sommeil
Et narguent en riant chaque maison qui fume.

Dès le petit matin, aussitôt le lever,
J’ai senti sur mon cœur un voile de tristesse
Et je me suis enfuie dans un élan d’ivresse
Vers un havre perdu où j’espérais rêver.

Je me suis enfoncée dans l’immense marais
Où mes pas incertains ont daigné m’emporter ;
Brisée par un fardeau trop lourd à supporter
Je me mis à haïr ce qu’hier j’adorais.   

Voulant à tout jamais rompre avec mon passé,
Ne trouvant nulle part le repos espéré,
J’ai vite abandonné ce lieu pestiféré
Où lasse de la vie je n’ai point trépassé.

J’ai alors écourté ma douloureuse errance
Et m’en suis retournée au lieu de mon naufrage ;
Dans mon cœur ulcéré j’ai fait naître l’orage
Dont je ressens souvent la cruelle puissance.

Mon esprit aujourd’hui est toujours en déroute :
Songeant avec effroi au destin qui m’attend,
Je devine déjà les signes menaçants
Qui, me privant d’espoir, me plongent dans le doute.

Mais avant que ma peur savoure sa victoire
J’ai senti tout à coup mon âme s’enflammer :
J’ai rêvé d’Apollon venu me ranimer,
D’une source d’amour où demain j’irai boire.

Du fond de ma prison j’attendrai vaillamment
Tout en imaginant chaque instant de ce jour
Où germera en paix le nectar de l’amour,
Où mon cœur s’ouvrira à de doux sentiments.

                            24 Novembre 1968

B A B E T H

Mon cœur gonflé d’espoir caracole gaiement,
Mon esprit pétillant gambade comme un lièvre
Et mon âme ravie se délecte avec fièvre
D’une jeune amitié qui gomme mes tourments.

Je me sens assaillie par des pensées sereines
Qui éclosent au jour pour assécher mes pleurs,
J’ai entendu des sons aussi doux que des fleurs
Qui m’ont fait oublier les sources de mes peines.

Malgré ce long exil que l’on m’a imposé
Toi, mon amie Babeth, tu me fais espérer ;
Tes mots de réconfort ont pu me libérer
De mes rêves obscurs qui m’ont tyrannisée.

Lorsque je me sens mal tu sais me soutenir
Pour vaincre les chagrins qui contrarient ma vie ;
Tu chasses les pensées qui hantent mon esprit,
Tu dissipes les peurs qui viennent m’assaillir.

Quand tu me vois plonger sous le pont des soupirs
Pour m’enliser plus loin dans un banc de tristesse
Tu viens me mitrailler ces bouffées d’allégresse
Qui éclairent le cours de mon frêle avenir.

Jamais je n’oublierai cette aide fraternelle
Qui parsème mes jours de rêves en couleurs,
Ma raison affaiblie par des flots de douleur
Pourra se préserver de mes élans rebelles.

Lorsque nous choisirons des chemins différents
Il nous faudra partir, sans craindre de vieillir,
Sur la piste imposée que l’on nomme avenir
Où nous pourrons graver le plus beau des serments.

Ce pacte d’amitié de notre adolescence
Restera à jamais au fond de ma mémoire ;
Tes propos apaisants m’ont emplie d’un espoir
Pouvant me préserver de la désespérance.

                        6 Novembre 1968

P I E R R O T

Elle a pris son envol au début de l’automne
Et depuis ce temps-là elle a vite grandi
Au sein de la prison qui nous servait d’abri
Cette douce amitié qui parfois nous étonne.

A quel instant précis eut lieu cette naissance,
Comment réussit-elle à jaillir du chaos ?
Elle s’est accrochée comme une algue dans l’eau
Afin de soutenir nos deux vies sans défense.

Une fée a croisé nos chemins par hasard,
Mes sourires discrets t’ont emplie de courage,
Tes rêves renaissants m’ont sauvée du naufrage,
Notre espoir s’est inscrit au fond de nos regards.

Nous n’avons pas compris par quel sort mystérieux
Ont pu se rencontrer nos deux âmes meurtries :
Privées de liberté elles se sont unies
Pour fuir les règlements de geôliers impérieux.

Nos deux cœurs opprimés ont enfoui leur chagrin
Tout au fond d’un grand lac fait de perles de miel ;
Nos deux esprits blessés ont saisi l’arc-en-ciel
Et se sont envolés sous des gerbes d’or fin.

L’amitié est sacrée, elle nous ensorcelle,
Elle est hymne à la joie, ouragan ou tempête,
Elle est le tourbillon qui vibre dans nos têtes :
De tous nos sentiments elle est le plus fidèle.

Demain quand la prison ouvrira ses grands bras
Nous devrons nous quitter, choisir notre avenir ;
Mais je fais le serment que dans mes souvenirs
Toi, mon amie Pierrot, à jamais tu vivras.

                           24 Octobre 1968

LES COULEURS DE L’ENFER

Comme un oiseau blessé mon esprit douloureux
S’apprête à endurer les multiples revers
Qui labourent mon cœur échoué dans l’enfer
D’un silence glacial aux effets ténébreux.

Ma vie est un bouquet fait de désespérance
Qui m’entraîne souvent vers des nuits sans sommeil
Et me tient éloignée des ardeurs du soleil
Avant de m’enfermer dans un puits de souffrance.

La douleur a chassé toutes les espérances
Qui m’ont tant fait rêver jusqu’à l’adolescence
Et je sais aujourd’hui qu’une pénible errance
Flétrira peu à peu les joies de mon enfance.

Si mon corps à ce jour ne court pas vers la mort
Mon cœur privé d’espoir lentement dépérit :
Submergé de chagrin au printemps de la vie
Il ne peut échapper à un terrible sort.

Laissez-moi naviguer sur les flots des enfers,
Laissez-moi accéder au train du désespoir
Car bientôt j’atteindrai le grand océan noir
Où je m’étiolerai au bras de Lucifer.

Je sens que mon destin se vêt d’austérité :
Renonçant au bonheur, succombant à ma peine,
Bientôt je rejoindrai l’horizon des sirènes
Où l’espace et le temps sont faits d’éternité.

                              12 Octobre 1968

PARFUMS DE SOLITUDE

Je me sens égarée au milieu des élèves,
Dans ce sombre dortoir qui n’est pas ma maison ;
Sauvage et insoumis mon esprit vagabond
Parvient à s’exiler au temple de mes rêves.

Seul un doux conquérant pourrait m’ôter les fers
Qui me font m’abîmer dans un lac de détresse ;
Mon âme tourmentée ressent avec tristesse
Cette absence d’espoir qui l’expose aux enfers.

Que de larmes versées aux portes de l’amour !
Que d’espoirs étouffés par des cris de douleur !
Que de pleurs refoulés ont immergé mon cœur
Et consumé ma vie au long de son parcours.

Aujourd’hui je le sais mon hiver sera long
Et chacun de mes jours prendra un goût de fiel ;
Mais lorsque l’univers m’inondera de miel
L’espoir m’envahira au cœur de ma prison.

Dès que je le verrai au seuil de ma pension,
Qu’il me tendra ses bras afin de m’enlacer,
Je laisserai alors s’enfuir tout mon passé
Pour qu’il puisse amasser les fruits de ma passion.

                          28 Septembre 1968

MON RUISSEAU

Où se cache-t-il mon joyeux ruisseau
Qui galopait fièrement dans la plaine ?
Il se dorait sous un astre bien chaud
Ou se prélassait au pied de vieux chênes.

Je ne trouve rien dans ma solitude
Qui soit aujourd’hui apte à inspirer
Mon âme imprégnée par trop d’inquiétude
Depuis que le soir s’en est emparé.

Mais quand je revois ces gouttes d’or pur
Qui glissent en cadence sous l’azur
Et se lovent sur la verte fourrure,

Je sais enfin que ce joyau discret
S’est isolé dans un temple secret
Pour chatouiller les pieds de la nature.

                  15 Mai 1968